«On veut être maîtres chez nous»

«On veut être maîtres chez nous»
Gabriel et Luc Nadeau sont copropriétaires des magasins Nadeau. (Photo : Photo d'archive)

DRUMMONDVILLE. Luc et Gabriel Nadeau, propriétaires des magasins Nadeau, ont claqué la porte aux multinationales Molson et Labatt parce qu’ils en avait soupé de leur façon de gérer les contrats et, surtout, de gérer l’espace de leurs commerces.

C’est en pleine tempête que le père et le fils ont accueilli L’Express dans leur bureau administratif, au deuxième étage du plus récent magasin Nadeau, sur le boulevard Saint-Joseph.

Cela fait déjà quelques mois que les deux propriétaires ont décidé de mettre un terme à leurs contrats, d’abord avec Molson, puis avec Labatt.

«Tu dois te soumettre à eux», résume Gabriel Nadeau, qui gère la chaîne de magasins avec son père depuis 2012.
Il faut d’abord comprendre qu’il existe trois joueurs majeurs dans le monde des microbrasseries : Sleeman, Labatt et Molson. Tous fonctionnent selon le principe qu’ils souhaitent obtenir le maximum de visibilité dans les frigidaires à bière des détaillants, et cela se traduit par le positionnement.

«Les prix de base sont soufflés, pour te forcer à prendre une entente. Quand le contrat est signé, ils s’engagent à donner des allocations pour que tu puisses être compétitif. Cela représente un investissement, pour eux. Ils décident donc de la marge de profit que tu fais et du prix de vente, de l’emplacement dans le frigidaire, etc. Tu dois les écouter à la lettre, sinon ils enlèvent leurs produits de tes tablettes et tu n’en vends plus», explique le jeune entrepreneur de 23 ans, en précisant qu’il n’est pas rare de voir arriver un représentant avec un ruban à mesurer pour aller inspecter les réfrigérateurs à bières.

«On veut être maîtres chez nous, mais en fonctionnant comme ça, on ne gère rien», affirment les copropriétaires.
C’est dans les environs de l’année 2008 que Luc Nadeau a commencé à remettre en question cette façon de faire. «Sleeman commençait à prendre un peu plus de place dans le marché à ce moment-là, et j’ai décidé de lui donner un peu plus de visibilité puisque leurs produits se vendaient bien dans mon magasin. Labatt a été deuxième et Molson n’a pas digéré de finir troisième», raconte M. Nadeau.

Ils ont néanmoins réussi à rafistoler une entente avec Molson, mais sans contrat, l’entente n’a duré qu’un temps. Après quelques autres déboires et des démarches auprès du géant de la bière, les liens se sont finalement rompus autour de 2014.

«Puisqu’on n’avait plus Molson en magasin, on s’est dit qu’on pourrait donner un peu plus de place à Labatt. Ils voulaient 50 % de l’espace total dans le frigidaire à bières, et on leur a donné. On voulait essayer de s’entendre avec la compagnie», explique Gabriel Nadeau, qui était entré dans la gestion de l’entreprise à ce moment.
Sauf que, dans les mois qui ont suivi, l’engouement pour les alcomalts, des boissons alcoolisées comme Poppers ou Four Loko, n’a cessé de grandir, notamment auprès des jeunes. Le hic, c’est que, lorsque Labatt a mis en vente ses propres alcomalts (Palm Bay, par exemple), la compagnie a exigé de l’espace dans le réfrigérateur à bières, tel que le stipulait l’entente prise avec les magasins Nadeau, mais en plus, désirait un pourcentage de l’espace des autres réfrigérateurs pour leurs boissons.

«On voulait introduire leurs produits, mais à notre façon. On souhaitait les placer comme on voulait, mais leur manière de faire est plus agressive que ça.»

Le divorce avec Labatt s’est finalement fait au printemps 2017.

Gabriel Nadeau a décidé de rédiger un billet sur le site Web de l’entreprise afin d’expliquer la situation à ses clients. Le texte a eu un effet domino, et les propriétaires affirment avoir reçu des commentaires d’autres détaillants, comme quoi ces derniers souhaiteraient faire le même genre de coupure, mais qu’ils ne peuvent pas se passer des profits que cela leur apporte.

«L’idée, ce n’était pas de mener une rébellion contre Molson ou Labatt. Nous avons décidé de publier une explication sur notre site Web pour que nos clients comprennent ce qui se passe. Ce n’était pas pour pleurer ou pour partir en guerre», spécifie Gabriel Nadeau.

Pertes immédiates

Les conséquences de ce double divorce sont difficiles à chiffrer, d’après Luc Nadeau, puisque d’autres facteurs, comme des réfections de rue, sont venus influencer les revenus de l’entreprise en même temps que leurs déboires avec les deux géants. Cependant, le propriétaire estime que les pertes ont été immédiates et les impacts peuvent se faire sentir pendant 6 mois.

Malgré tout, ce dernier estime qu’il est tout à fait possible de vivre sans Molson et Labatt, une opinion partagée par son fils.

«C’est peut-être l’occasion de renouveler notre offre, et d’aller chercher une nouvelle clientèle. Si environ 40% de nos clients ne souhaitent pas essayer d’autres produits, la balance est ouverte à tenter des expériences différentes», estime Gabriel Nadeau.

Le marché de l’alcool change constamment, d’après les deux copropriétaires : à l’heure actuelle, les bières de microbrasseries et le vin connaissent une popularité croissante. Des discussions sont déjà en marche pour faire entrer des bières de microbrasseries québécoises, et certaines sont déjà sur les tablettes des magasins Nadeau.

«On ne peut plus faire marche arrière. Il nous reste à regarder en avant», conclut Gabriel Nadeau.

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