Le lourd secret de Sandra Lemoyne

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Par Cynthia Martel
Le lourd secret de Sandra Lemoyne
Sandra Lemoyne. (Photo : (Photo : Ghyslain Bergeron))

VIVRE. À 17 ans, Sandra Lemoyne a été victime d’un viol collectif. Plutôt que de se confier, elle s’est isolée puis a trouvé refuge dans la nourriture qui est rapidement devenue une arme d’autodestruction jusqu’au jour où elle a décidé de changer sa destinée… Elle a perdu 300 livres en 3 ans.

La Drummondvilloise a souffert pendant près de 20 ans d’hyperphagie, un trouble alimentaire qui se caractérise par l’absorption de quantités démesurées de nourriture en un court délai. Conséquence du tragique événement qu’elle a vécu.

«Dès le lendemain du viol qui s’est produit sur le mont Royal, j’ai commencé à manger plus qu’à l’habitude. C’était ma façon à moi de m’évader. Je mangeais mes émotions. Je me levais la nuit, trois ou quatre fois, pas pour manger des collations, mais pour me faire, par exemple, des tournedos de poulet et du riz. J’ai pris rapidement du poids, mais ça ne me dérangeait pas. Je me disais que plus j’étais grosse, moins les gens me trouveraient belle et comme ça, j’aurais moins de chance de revivre ce que j’ai vécu. J’étais dans un cercle vicieux… Au début, mes parents me posaient des questions, mais je me défilais. Je n’étais pas très proche d’eux.»

Au plus fort de sa tourmente, Sandra pesait 467 livres. Adolescente, elle avait un poids de 155 livres.

«Je n’étais pas capable d’attacher mes souliers, c’était difficile d’embarquer dans l’auto et mes seins étaient tellement énormes que lorsque je m’assoyais à la table, je devais mettre mon assiette à gauche ou à droite, car mes seins accotaient sur la table…»

Sa garde-robe a longtemps été composée de chandails de grandeur 5 x-large et de pantalons de taille 44.

Il est difficile d’imaginer ce que son corps pouvait absorber en l’espace de quelques minutes.

Sandra Lemoyne avant sa prise en charge.

«Je pouvais facilement manger 60 sushis en un seul repas, 20 morceaux de gâteau au fromage ou bien un familial pour quatre du Saint-Hubert (2 cuisses et 2 poitrines de poulet avec frites, salade de chou et pain)», cite-t-elle en exemple.

Sandra n’a jamais voulu se confier à ses parents durant toute cette période ni consulter. Elle avoue avoir eu des pensées suicidaires.

«Je souffrais du regard des autres. Et des platitudes, j’en ai entendues souvent dans ma vie.»

Une renaissance

Ce n’est qu’en 2010, au début de la trentaine, qu’elle a souhaité mettre un terme à ce problème qui ruinait sa santé. Avec les conseils de son médecin, elle a opté pour la gastroplastie.

«Un jour, mon médecin m’a dit que si je ne faisais rien, il ne me garantissait pas que je pourrais vivre jusqu’à 50 ans. Ç’a mijoté quelque temps avant que j’entame des démarches. On m’a posé un anneau gastrique, mais ça n’a pas marché. En 2015, j’ai eu recours à la sleeve [gastrectomie] (consiste à retirer une grande partie de l’estomac pour former un tube), ici, à l’hôpital Sainte-Croix. Mon chirurgien m’avait dit qu’il n’avait jamais vu un estomac aussi gros… Finalement, ç’a été une réussite», explique la femme aujourd’hui âgée de 40 ans et maman d’un petit garçon de cinq ans.

C’est toute rayonnante, malgré sa difficulté à se déplacer à cause de ses récentes chirurgies réparatrices, que Sandra a décidé de se rendre dans les bureaux de L’Express afin de raconter son histoire, pour la première fois.

«Ça fait longtemps que les gens me disent d’interpeller les médias, mais j’hésitais. J’ai même pleuré avant d’appeler le journal, car ça me stressait, mais je me suis dit qu’à 40 ans, il est temps que je me libère de ça et que je partage mon histoire qui pourra aider, j’en suis certaine, bien des jeunes filles.»

Sa transformation est impressionnante. Elle a atteint son objectif de perdre 300 livres en 3 ans.

«Avant, presque tout le monde me regardait avec dédain et me jugeait. Maintenant, je passe incognito, comme une personne « normale ». Je peux aussi m’habiller dans n’importe quelle boutique. J’ai enfin retrouvé mon corps. Je suis libérée!» confie fièrement celle qui pèse maintenant 165 livres.

Mais pour en arriver là, Sandra a aussi dû subir sept chirurgies réparatrices entre octobre 2016 et février 2018. Des opérations délicates qui consistent à enlever le surplus de gras sur des parties spécifiques du corps, telles que les bras, les cuisses, le ventre et les fesses.

«Chaque partie du corps aura nécessité deux chirurgies. Il y en a deux autres de prévues en août prochain. Ce sera les dernières», indique-t-elle, avec un petit sourire.

Cas rare, la Régie d’assurance maladie du Québec (RAMQ) a couvert presque tous les frais de ses chirurgies.

«C’est en grande partie grâce à mon chirurgien Jean-Louis Beaudoin qui m’a appuyée dans ma démarche.»

À titre d’exemple, une abdominoplastie coûte 15 000 $ à réaliser tandis qu’il faut débourser environ 8000 $ pour les cuisses.

Une attitude positive

Sandra Lemoyne regarde maintenant l’avenir avec positivisme. Lorsqu’on lui demande si elle a peur de rechuter, elle répond par la négative.

«Avec tout ce que j’ai subi, je ne veux pas reprendre du poids. De toute façon, lorsque je mange trois ou quatre bouchées maintenant, je suis pleine. Ce que je fais plutôt, c’est de manger plus souvent, mais moins à la fois. Et je ne me prive pas. Si j’ai envie de manger du chocolat, j’en prends, mais pas excessivement. Et je fais de l’exercice», précise-t-elle.

De surcroît, elle ne ferme pas la porte à consulter éventuellement un professionnel pour le viol qu’elle a subi.

Elle est maintenant une confidente et une inspiration pour plusieurs personnes. Elle accompagne même, à l’occasion, des patients pour leur chirurgie.

Bref, Sandra entend maintenant profiter pleinement de la vie qui lui sourit à nouveau.

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