Une entreprise de remorquage et la Sûreté du Québec en justice

Une entreprise de remorquage et la Sûreté du Québec en justice
Photo générale (Photo : Deposit)

Une entreprise de remorquage de Drummondville, le Groupe Lepage et fils, et la Sûreté du Québec se sont rendus en Cour supérieure pour un litige qui dure depuis des années.

La décision de la Chambre civile de la Cour supérieure, rendue par la juge Lise Matteau, a été publiée le 10 janvier 2018. D’après le document, le Groupe Lepage et fils est représenté par Me Jean-François Houle, et c’est Me François-Alexandre Gagné qui assure la défense de la Sûreté du Québec (SQ).
L’audience s’est tenue le 2 novembre 2017.

Il faut d’abord comprendre que la SQ fait appel à des remorqueurs afin de déplacer des véhicules immobilisés sur la voie routière. Il existe également des secteurs exclusifs, où un remorqueur sera toujours appelé le premier, et des secteurs partagés, au sein duquel plusieurs entreprises sont appelées à tour de rôle, selon un ordre préétabli. Le tout est géré par un protocole précis, selon lequel les entreprises s’engagent, par exemple, à intervenir dans un «délai d’intervention raisonnable» et «à respecter la liste de prix fournie […]. Tous les coûts excédentaires doivent être justifiés lors de la transaction».

«Avant d’appliquer toute sanction, la Sûreté s’assure de recueillir toutes les informations pertinentes et de permettre à l’entreprise d’apporter des justifications. II est entendu que la sanction à appliquer sera établie en fonction de la gravité du manquement à cette entente, soit un avertissement écrit, une suspension ou une radiation», peut-on lire dans le document.

Dans ce cas précis, le Groupe Lepage et fils avait l’exclusivité dans les secteurs de Saint-Edmond-de-Grantham, de Saint-Eugène-de-Grantham et Saint-Germain-de-Grantham «[…] alors que pour les services de remorquage sur le territoire de la Ville de Drummondville, l’entreprise fait partie d’un système de rotation avec quatre autres remorqueurs», peut-on lire dans le jugement.

Une première suspension, pour avoir «commis un manquement au protocole en refusant d’effectuer un remorquage de poids lourd», a été en vigueur entre le 1er juillet et le 31 août 2016. Un policier a même « […] dû mettre un terme à la communication avec vous, car selon son rapport, vous vous êtes mis à crier, à l’insulter et même à le qualifier de voleur. Votre réaction et vos paroles à l’endroit du sergent Dumont […] sont inacceptables et sont contraires à nos valeurs», est-il écrit dans l’avis de suspension adressé au Groupe Lepage et fils, signé par le lieutenant David Vadnais et soumis au tribunal. D’ailleurs, dans le jugement, cet extrait est en caractères gras. M. Lepage aurait par la suite fait parvenir une lettre, expliquant qu’il ne pouvait effectuer le remorquage d’un poids lourd pour des raisons de santé. La suspension a tout de même été maintenue.

Un deuxième avis de suspension, de six mois cette fois, a été émis le 3 février 2017, et demeuré en vigueur jusqu’au 2 août 2017. «La situation concerne un citoyen qui a voulu reprendre possession de son véhicule à la suite d’un accident […] il est clair que le prix du remorquage fixé était démesurément hors de prix par rapport à la norme. Ces comportements ne font pas partie de pratiques auxquelles la Sûreté souscrit, et sont absolument incompatibles avec ses valeurs fondamentales», est-il écrit dans le document.

Une mise en demeure a été envoyée, à la suite de la réception de cet avis, au policier qui l’a signée. «Pour l’essentiel, [le Groupe Lepage] reproche [au capitaine Charles] Renaud de ne pas lui avoir fourni l’opportunité de livrer sa version des faits et de ne pas avoir suivi la gradation des sanctions prévue au protocole.»

Un autre événement, cette fois concernant des propos menaçants tenus à l’endroit d’un jeune couple qui serait venu réclamer la carcasse d’un véhicule après un accident, a été porté à l’attention de la Sûreté du Québec.

De son côté, M. Lepage affirme que la jeune femme, propriétaire de l’automobile, tenait des «propos injurieux» à l’égard de sa secrétaire et de lui-même, et que le couple criait et sacrait sans arrêt.

Le 1er juin 2017, Groupe Lepage et fils réclame un montant de 100 500 $ à la SQ pour la perte de chiffre d’affaires à la suite des deux avis de suspension, montant qui a ensuite été élevé à 153 000 $. Cette demande est encore en procédures judiciaires, d’après le jugement.
Mentionnons qu’initialement, l’entente entre les deux parties prenait fin en novembre 2018.

Le mois suivant, un avis de radiation a été adressé à l’entreprise. On y mentionne que la SQ estime devoir mettre un terme aux ententes. «Vu l’historique des sanctions à l’endroit de votre entreprise, l’ensemble des faits mentionnés ci-dessus ainsi que le litige qui nous oppose, nous estimons que le lien de confiance établi avec la Sûreté du Québec est rompu.» Toutefois, il est important de préciser que le jugement ne concerne que les avis de suspension et de radiation.

«Jusqu’à ce qu’un jugement soit rendu sur le fond, Groupe Lepage recherche en effet la suspension de sa radiation du registre, sa réintégration au registre et la remise en vigueur du protocole à son endroit. Il n’appartient donc pas au Tribunal, dans le cadre de la présente demande, de discuter du bien-fondé ou non des suspensions dont Groupe Lepage a fait l’objet les 29 juin 2016 et 3 février 2017.»

Le tribunal estime que, si les dommages subis par le Groupe Lepage et fils sont importants, il n’est pas totalement exclu que l’entreprise puisse éventuellement être dédommagée.

«Il en va toutefois tout autrement pour la S.Q. […] le protocole vise essentiellement à offrir au public un service de dépannage routier sécuritaire et courtois. À cet égard, la S.Q. agit donc pour et au nom du public. […] L’intérêt privé doit céder le pas à l’intérêt public.»

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