«On sentait que quelque chose s’en venait» – Gérald Lapierre

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Par Jean-Pierre Boisvert
«On sentait que quelque chose s’en venait» – Gérald Lapierre
Ce cliché témoigne de l’ampleur de la crise. (Photo : Archives L'Express)

«Quelque chose s’en venait. On le sentait. Les bulletins météo annonçaient un épisode de verglas, mais nous étions loin de nous douter de ce qui allait nous tomber dessus. J’ai convoqué dans l’après-midi le directeur de la sécurité publique Jean-Denis Lefebvre et certains autres directeurs pour revoir notre plan de mesures d’urgence, au cas où. Ce même soir, vers minuit, j’ai téléphoné à la mairesse Francine Ruest Jutras pour lui annoncer qu’on se mettait en mouvement.»

Gérald Lapierre, directeur général de la Ville de Drummondville en janvier 1998, a été au cœur de la tempête historique qui, sans crier gare, a coupé l’électricité à de nombreux résidents, en laissant plusieurs dans l’obligation de trouver de l’hébergement.
Le plan de mesures d’urgence était donc à jour et prêt à être mis en application, permettant aux équipes concernées d’agir avec quelques heures d’avance.

Directeur général de la Ville de Drummondville en janvier 1998, Gérald Lapierre a été au cœur de la tempête historique.

Ça commençait à brasser dans le village, pour employer l’expression de Gérald Lapierre. «Il était important en premier de nettoyer et déglacer les rues, là où des grosses branches d’arbres, sous le poids de la glace, étaient tombés; il fallait que les véhicules d’urgence, police, ambulances, pompiers, puissent circuler. Pour l’eau potable, nous avons pu installer rapidement trois génératrices à l’usine de filtration. Et pour alimenter ces génératrices, nous avons fini par trouver du carburant à Thetford Mines, qui n’était pas touché par le verglas», se souvient l’ancien DG à qui L’Express a demandé de raviver quelques émotions d’il y a 20 ans.
Selon lui, la population en général a su se prendre en mains. «Les gens se sont entraidés. Plusieurs ont réussi à se chauffer au bois et à se nourrir. Malgré cela, notre priorité était d’ouvrir un premier centre d’hébergement et c’est vers le Collège Saint-Bernard que nous nous sommes tournés. Il y avait là une grosse génératrice. Ensuite, nous avons ouvert l’école Marie-Rivier, également équipée d’une cuisine. Au Centre communautaire Saint-Jean-Baptiste, l’hébergement a pu s’organiser mais, pour la nourriture, il a fallu faire appel au Buffet Frédéric qui a été un fournisseur important pour d’autres endroits aussi. Le CLSC a fait sa part en organisant à tous les jours des visites d’infirmières et de pharmaciens pour distribuer les médicaments. En tout, il y avait plus de 300 personnes dans ces centres d’hébergement. Quelques jours plus tard, nous avons installé une génératrice à l’école Jean-Raimbault afin de fournir un service de douches. Le gymnase était rendu disponible pour de l’animation, pour les jeunes surtout.
«Ce qui n’a pas été facile, de poursuivre Gérald Lapierre, ce fut de garder à l’œil ceux et celles qui ne voulaient pas sortir de chez eux. La loi ne nous permettait pas de les obliger à sortir. Nous avons tout simplement décidé d’aller leur rendre visite plus souvent. De nombreux bénévoles, dont ceux du Club Rotary, et des membres du Service de sécurité incendie ont continuellement visité des résidences pour vérifier si les gens étaient corrects. Le CLSC leur avait donné des indications pour savoir comment détecter des signes de fatigue ou de détresse. Tout s’est bien déroulé au bout du compte. Il y a eu des élans de solidarité remarquables à travers tout ça. Surtout dans les 72 premières heures où il est crucial de pouvoir se dépanner sans l’intervention des services d’aide».

Des branches d’arbres cassées se retrouvaient un peu partout dans les rues.

Lorsque le courant est revenu, les services d’urgence n’en avaient pas fini pour autant. «À l’intérieur de certaines résidences abandonnées, il est arrivé que l’électricité est revenue faisant redémarrer des ronds de cuisinière qui étaient restés ouverts. Il y a bien eu quelques incendies, mais rien de majeur. Dans cette crise, il n’y a pas eu à Drummondville de décès liés directement à l’événement».
Autre anecdote qui traduit l’excentricité de la situation, c’est la Ville qui, à la demande du gouvernement du Québec, a émis les chèques aux sinistrés. «Ça semble banal comme exercice, mais il a fallu vérifier l’identité des résidents, car ce ne sont pas tous les secteurs qui ont été touchés d’égale façon. Nous avons dû procéder à l’identification des bénéficiaires et surtout s’assurer qu’ils ne reviendraient pas le lendemain… Finalement, tous ont été payés et la Ville a été entièrement remboursée par le gouvernement».
Gérald Lapierre a retiré une satisfaction personnelle de la crise du verglas. «Oui parce que tous ceux et celles qui ont été impliqués ont fait du très bon travail. J’espère qu’on ne reverra pas une crise de ce genre, mais j’ai une crainte que ça va se reproduire en raison des changements climatiques. J’ai évidemment fait un rapport sur tout ça et je l’ai laissé à la Ville. J’ai pris soin, craignant une panne de courant qui éventuellement gèlerait le système informatique, de laisser une copie papier!»

De nombreux employés de l’appareil municipal ont dû se retrousser les manches pour aider les citoyens, comme Jean-Guy Provencher du département de la cartographie, que l’on peut apercevoir debout, à droite.
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