«Il était en état de choc. Il était confus»

«Il était en état de choc. Il était confus»
Bernard Beaudet alors directeur du Service des incendies de la Ville de Warwick

RÉGIONAL|. Trois ans après son arrestation par les policiers de l’Unité permanente anticorruption, l’ex-directeur du Service de sécurité incendie, Bernard Beaudet, a vu son procès s’amorcer, hier, au palais de justice de Victoriaville. Le ministère public a déposé contre lui six accusations de fraude contre la Ville et ses pompiers, de vol, d’abus de confiance et d’avoir produit et fait usage de faux documents.

L’actuel maire de la ville de Warwick, Diego Scalzo, a été le premier témoin à se faire entendre devant la juge Guylaine Tremblay, de la Cour du Québec. Il a raconté comment il a mis au parfum la Sûreté du Québec de possibles écarts de conduite du directeur. Le conseiller municipal Martin Vaudreuil, responsable de ce que M. Scalzo appelle le «mini-ministère» de la Sécurité incendie au sein du conseil municipal, a éveillé les soupçons.

«On s’est rencontré chez moi. Il m’a fait savoir qu’il y avait un système de fraude à la caserne. M. Beaudet aurait emprunté de l’argent à un pompier. Pour rembourser cette somme importante de plusieurs milliers de dollars, il (M. Vaudreuil) aurait entendu dire qu’il gonflait le nombre d’heures travaillées du pompier en question», a-t-il expliqué, précisant qu’il avait aussitôt contacté Luc Marineau, directeur du poste de la Sûreté du Québec de la MRC d’Arthabaska à ce moment. «M. Marineau m’a dit qu’il s’occupait de tout et de continuer comme si de rien n’était, comme si rien ne s’était passé», a-t-il enchaîné.

Plusieurs jours plus tard, le maire a rencontré sa directrice générale, Lise Lemieux, pour lui parler de cette affaire. «Au départ, on m’avait dit de ne rien dire. Plus tard, j’ai revu M. Marineau et il m’a dit que ce serait le bon moment pour en discuter avec Mme Lemieux. C’est ce que j’ai fait», a-t-il souligné.

La directrice générale, à la demande du maire, a donc rencontré celui-ci chez lui par souci de confidentialité le 31 janvier 2014. «Je lui ai alors parlé de cette affaire d’horaires gonflés. Elle m’a fait part à son tour de trois autres situations. L’une était à l’effet que M. Beaudet aurait acheté pour 1600 ou 1800 $ de pneus pour son véhicule personnel sans autorisation. Il aurait aussi acheté des toiles pour la caserne d’une valeur de 2000 $ environ sans autorisation. M. Beaudet aurait aussi falsifié des rapports d’intervention», a-t-il rappelé en réponse aux questions de la procureure.

Le conseil municipal a été saisi du problème de remboursement des pneus et des toiles, souligne-t-il. «En janvier, c’est le moment où l’on peut augmenter nos directeurs d’échelon salarial à cause de cette affaire. On avait décidé de geler son salaire et on lui avait donné jusqu’au 1er mai pour rembourser les pneus», a indiqué le maire. À ce moment, le conseil municipal n’était pas au fait des autres soupçons qui pesaient contre le directeur. Le maire Scalzo dit ne pas avoir voulu faire dérailler l’enquête policière.

Mensuellement, Bernard Beaudet a donc continué de rencontrer le premier magistrat de Warwick pour faire une mise à jour de l’état de son Service, comme c’est le cas pour tous les directeurs de la municipalité. «Des fois, c’était correct, des fois, c’était tendu et stressé. Il y avait toujours peu de documents. Maintenant, le nouveau directeur a toujours des rapports. Il nous permet de nous projeter. On peut maintenant avoir une vision d’avenir», a-t-il affirmé, soulignant que les élus pouvaient difficilement faire cet exercice avec Bernard Beaudet. «Mais je n’avais pas de comparable à l’époque. C’était la première fois que je travaillais avec un directeur du Service de sécurité incendie dans ce contexte», a-t-il précisé.

L’accusé, en cours de route, a fini par soupçonner qu’il était sous enquête. Son comportement, a fait valoir M. Scalzo, est devenu plus instable. «On avait peur qu’il s’enlève la vie. On savait qu’il était au courant qu’il y avait une enquête à Warwick. Ça l’affectait. J’avais dit à Lise que si elle sentait que Bernard passerait à l’acte, qu’elle m’appelle et j’allais m’en occuper. Un jour, il s’est présenté en larmes et en panique au bureau de Lise. Le poids de l’enquête semblait être difficile pour lui. Mme Lemieux m’a appelé pour me dire qu’elle était très inquiète», a raconté le maire de Warwick.

M. Scalzo s’est aussitôt présenté à la caserne pour voir le directeur. «Il était en état de choc. Il était confus. Je voulais savoir s’il était suicidaire. J’ai donc discuté avec lui. Il pensait qu’il y avait une manigance contre lui. Il m’a dit qu’il n’avait rien fait et qu’il était un bon garçon. Je lui ai dit que s’il n’avait rien à se reprocher, qu’il appelle la police et qu’il prenne les devants. Il est devenu plus calme et plus serein par la suite», a-t-il souligné.

L’enquête de l’UPAC s’est ensuite terminée. Le maire a convenu avec la directrice générale de forcer M. Beaudet à prendre les vacances accumulées. «Il ne prenait jamais de vacances. On l’a forcé à le faire, bien qu’il ne voulait pas. Lors de cette rencontre, je lui ai clairement demandé s’il voulait s’enlever la vie. Il m’a répondu «non, pas du tout». Ça m’a soulagé», a expliqué M. Scalzo.

Peu de temps après, Bernard Beaudet a été arrêté et on a amorcé le processus de congédiement, survenu en avril 2014. Le maire a également rappelé comment il a appris que l’accusé utilisait les cartes de crédit destinées à payer l’essence des véhicules de la caserne à des fins personnelles. «Comme élu, ces choses, c’est à mes yeux de la microgestion. Je laisse ça aux gens qu’on embauche. Je ne me suis pas arrêté pour savoir comment fonctionnent les pleins d’essence dans nos véhicules. Je n’étais donc pas au courant.»

Le maire Scalzo dit aussi avoir appris que Bernard Beaudet falsifiait certains rapports concernant le schéma de couverture de risque. «Parfois, on ne respectait pas le nombre de pompiers requis par le schéma sur certaines interventions. On m’a dit que des rapports ont été falsifiés pour qu’on réponde aux critères. Lise Lemieux l’aurait avisé de ne pas faire cela, que ce n’était pas légal», a-t-il souligné.

Depuis que l’UPAC est débarqué à Warwick, le maire dit que le conseil municipal a posé certains gestes pour éviter que ce genre de situation ne se répète. Il a expliqué que des effectifs supplémentaires permettent d’alléger la tâche des gestionnaires. «Il y a moins d’angles morts de cette façon», a-t-il dit.

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