ALENA : Les producteurs laitiers craignent le pire

ALENA : Les producteurs laitiers craignent le pire
Guillaume Joyal (Photo : Frédéric Marcoux)

«C’est sûr que c’est inquiétant pour les producteurs de lait. Du jour au lendemain, ça peut être fini pour l’entreprise». Le producteur laitier Guillaume Joyal, copropriétaire de la ferme Amijoie à Saint-Cyrille-de-Wendover, espère qu’Ottawa défendra intégralement le système de gestion de l’offre, dans le cadre des négociations pour le renouvellement de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).

Le président américain, Donald Trump, menace d’exclure le Canada de l’ALENA après s’être entendu avec le Mexique récemment. Les représentants de son gouvernement à la table des négociations feraient d’importantes pressions sur le Canada pour avoir davantage d’accès au secteur laitier, un domaine sous gestion de l’offre.

Le Canada a déjà concédé des parts de marché dans le secteur laitier dans d’autres accords de libre-échange. En 2016, une entente avec l’Union européenne avait engendré des pertes permanentes de 2% du marché pour les producteurs canadiens, selon l’Union des producteurs agricoles (UPA). Le Canada avait également concédé un peu plus de 3% du marché des produits laitiers, dans le cadre du Partenariat transpacifique. Selon Guillaume Joyal, d’autres concessions risqueraient de miner la rentabilité des entreprises laitières.

«Ça commence à être essoufflant présentement, avoue celui qui trait 60 vaches Holstein deux fois par jour pour produire un quota de production de 60 kg. Je regarde ce qui se passe en France depuis la perte des quotas; il y a une vague de suicides et ce n’est pas vrai que je vais me rendre jusque-là. S’il y a une autre concession, c’est assez pour qu’on ne se donne plus de salaire.»

La mère de ce dernier, Louise Beauchemin, travaille à la ferme. Même si elle estime travailler facilement plus de 40 heures par semaine, la sexagénaire se prend un salaire de 13$ de l’heure, et ce, pour une période de 40 heures.

Guillaume Joyal et Louise Beauchemin.

Selon Guillaume Joyal, la troisième génération de producteur laitier chez les Joyal, le gouvernement n’a pas compensé les pertes aux producteurs, puisqu’un éleveur doit avoir un projet d’investissement pour recevoir de l’aide sur le plan financier.

«Tu dois t’endetter et avoir les mains liées pour espérer avoir de l’aide», résume celui qui est âgé de 34 ans. Il est d’avis que les régions écoperaient si la gestion de l’offre tombe un jour, puisque les frais de transport pour le lait sont mis en commun. Ainsi, un agriculteur du Centre-du-Québec paie les mêmes frais de transport qu’un producteur laitier au Saguenay-Lac-Saint-Jean, par exemple.

En septembre, au Québec, les producteurs laitiers recevront un prix stable qui oscillera autour de 0,66$ par litre de lait produit, selon le taux de matière grasse de ce dernier.

Une lettre pour prévenir le suicide avec le chèque de paie

Joint à l’aide du réseau social Facebook, Thomas Colpetzer, un producteur laitier de la Pennsylvanie aux États-Unis invite les Canadiens à défendre la gestion de l’offre. L’homme âgé dans la soixantaine peine à joindre les deux bouts, même si les cinq membres de la famille, tous à l’âge adulte, ne se prennent quasiment aucun salaire.

«J’ai des amis au Canada et je peux voir la différence, explique-t-il dans la langue de Shakespeare. Nous sommes littéralement en train de mourir de faim ici et de perdre nos producteurs à un rythme alarmant. Tenez bon et battez-vous pour la gestion de l’offre! Il y en plusieurs d’entre nous (aux États-Unis) qui reçoivent une lettre de prévention du suicide accompagnée de leur chèque de paie. Laisse-moi te dire que tu ne veux pas et que tu n’as pas besoin que les choses aient mal comme ça au Canada.»

Celui qui trait 120 vaches de race Jersey quotidiennement peine à tirer son épingle du jeu, malgré une très bonne génétique. Son troupeau est composé de plus d’une trentaine de vaches «excellentes» et les autres sont tous «très bonnes». Le propriétaire de la ferme Xanadu a même élevé la championne suprême en 2009, à la World Dairy Expo, une des plus importantes foires agricoles aux États-Unis. Pour la suite des choses, Thomas Colpetzer souhaite voir le gouvernement américain mettre en place une forme de gestion de l’offre. Selon lui, le problème de surproduction ne facilite pas la tâche à la relève qui souhaite s’implanter. De plus, le phénomène de concentration qui s’accentue n’est «assurément pas souhaitable» sur le plan environnemental.

«Je crois que Trump a aidé notre pays, mais je ne sais pas ce qu’il a à prouver en attaquant votre pays», de convenir Thomas Colpetzer. Lors de sa dernière paie, il a mentionné avoir été payé près de 1,45$ pour chaque gallon de lait (près de 0,38$ par litre).

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