Neuf psychiatres, huit hospitalisations, un suicide

Neuf psychiatres, huit hospitalisations, un suicide

Carl Nadeau a été hospitalisé à huit reprises au cours des dernières années.

MORT VIOLENTE. Diagnostiqué suicidaire et schizophrène, Carl Nadeau s’est enlevé la vie dès son retour chez lui, le 4 mars dernier, quelques heures après avoir obtenu son congé de l’hôpital. Aurait-il pu en être autrement? Le coroner Yvon Garneau répond par l’affirmative dans son rapport sur le décès «annoncé» de ce Drummondvillois de 30 ans.

Au fil de son investigation, le coroner Garneau a noté que le jeune homme, qui vivait seul, a été rencontré par neuf psychiatres et a été hospitalisé au moins à huit reprises. Ce qui ne l’a pas empêché de mettre fin à ses jours en se couvrant la tête d’un sac de plastique solidement fixé. Décès par asphyxie. L’alcoolémie était positive et la présence de métabolites du Clonazépam et d’Olanzapine dans le sang a été détectée.

La mort violente par autodestruction n’est pas un sujet couramment abordé par le journal L’Express, mais le cas Carl Nadeau vaut une exception, ne serait-ce que par la nature des recommandations que formule le coroner.

«Il est recommandé au CSSS de Drummond (maintenant le CIUSSS) de : s’assurer de mettre en contact le patient qui a son congé avec les intervenants qui vont assurer à leur tour le suivi dans la communauté; une fois l’évaluation du risque suicidaire faite, que les informations qui en découlent soient transmises à tous les professionnels qui vont assurer le suivi; à la lumière des circonstances entourant le décès violent de Carl Nadeau, je recommande aussi que le Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens procède à l’évaluation du dossier de Carl Nadeau. Ce même comité pourra évaluer la pertinence d’établir un protocole pour les congés temporaires», est-il écrit.

Est-ce que le personnel soignant impliqué aurait pu prendre des mesures et poser des gestes différents de sorte que Carl Nadeau ne quitte pas l’hôpital pour aller mettre fin à ses jours dans les heures suivant son congé? À cette question, Me Garneau répond oui.

«Si les conditions qui l’ont conduit au geste suicidaire ne changent pas, il est logique de prévoir que le risque va demeurer élevé. Carl Nadeau retourne dans ce qui m’apparait essentiellement les mêmes conditions qui prévalaient et qui l’ont amené à l’urgence. Il a été évalué par un psychiatre avant son congé. On l’a questionné spécifiquement sur ses idées suicidaires et sur ses projets. On conclut, malgré tout, qu’il n’est pas dangereux à court terme et on décide de mettre fin à son hospitalisation. À mon avis, la situation n’est pas changée. On assiste ici, de façon assez évidente, à une répétition d’une approche qui ne fonctionne pas. Le dernier psychiatre ayant vu monsieur Nadeau savait ou devait savoir que ce dernier avait clairement annoncé son décès. Il n’y a pourtant pas eu de problème de communication entre tous les intervenants sauf pour ce qui concerne l’intervenante sociale qui, malheureusement, n’a pas été avisée de son congé d’hôpital le 3 mars 2015. De l’intervenante sociale, en passant par les ambulanciers et le personnel de l’urgence, c’était clair que Carl Nadeau voulait mourir dans 2 jours. La décision du professionnel de lui donner un congé si rapidement s’explique moins bien», souligne le coroner qui admet sans hésitation que l’évaluation du risque suicidaire est un travail difficile.

Réaction des autorités médicales

Au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (CIUSSS MCQ), à Trois-Rivières, le service des communications, par la plume d’Anne-Sophie Brunelle, nous fait savoir, sans parler de ce dossier en particulier, que «lorsque le CIUSSS MCQ reçoit un rapport du coroner avec des recommandations, celles-ci sont prises au sérieux. Le CIUSSS MCQ procède à l’évaluation de l’ensemble des recommandations et propose un plan d’action qui en découle dans un souci constant d’amélioration. De plus, un suivi du plan d’action est réalisé afin de s’assurer de sa mise en œuvre et pour s’ajuster au besoin».

Elle ajoute : «Sur quelques territoires de la région, notamment à Drummondville, un comité est formé afin de faire une analyse et une rétrospective lorsqu’il y a décès par suicide. Le comité fait l’analyse de la situation et identifie des pistes d’amélioration s’il y a lieu (par exemple, l’usager aurait-il pu être référé à un organisme communautaire de la région ? y aurait-il un besoin de formation pour le personnel pour mieux répondre au besoin de l’usager ?). Le coroner fait d’ailleurs parti de ce comité et discute avec le CIUSSS MCQ des recommandations et pistes de solution à apporter. Cela donne fruit à des échanges fort constructifs et permet parfois de donner lieu à des changements importants».

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