Lorsque l’Alzheimer efface, l’amour se souvient

Lorsque l’Alzheimer efface, l’amour se souvient

Éliza B.Lafond –
AMOUR. Il y a 58 ans, Jacqueline et Guy se sont promis l’amour «pour le meilleur et pour le pire» ne sachant pas que le pire pouvait arriver, et encore moins sous le nom d’Alzheimer. Alors que cette maladie vient voler les pensées de Guy et le démunir de ses souvenirs, c’est l’amour qui donne la force à Jacqueline d’avancer pour deux.

Depuis l’annonce de la maladie, il y a quatre ans, Jacqueline Leclerc-Blais prend soin de l’homme qu’elle aime, chaque jour, comme elle a pris soin de leurs filles, Maryse et Stéphanie, lorsqu’elles étaient petites. Alors qu’elle avait la joie de voir ses enfants grandir et avancer, c’est plutôt le contraire qui se produit concernant la vie de son mari.

«Ça fait 42 ans que nous sommes dans la même maison familiale et un jour, il a commencé à mettre des collants sur les interrupteurs pour identifier laquelle était la lumière de l’intérieur et laquelle était celle de l’extérieur», a partagé Jacqueline, en ajoutant qu’il avait également commencé à perdre ses réflexes routiers alors qu’il passait sous les feux rouges.

C’est à ce moment que l’Alzheimer s’est infiltrée tranquillement dans la vie de Guy en abîmant le quotidien et l’intimité de son couple.

Son seul répit, Mme Blais le trouvait deux jours par semaine lorsqu’une dame venait prendre soin de son mari pour trois heures chaque fois. «Et quand je revenais, il était dans la vitrine à m’attendre», a-t-elle raconté émotivement en expliquant que son mari n’aimait pas qu’elle parte loin de lui, car ils étaient habitués de tout faire ensemble.

Pendant trois ans, elle s’est dévouée par amour, prenant soin de lui nuit et jour jusqu’au moment où l’Alzheimer, qu’est cette maladie imprévisible, a transporté son mari dans un monde qui lui appartient.

«Un moment donné, j’ai été obligée de faire venir nos enfants en pleine nuit. Je ne savais plus quoi faire. Le manteau sur le dos, la casquette, les bottes, il voulait s’en aller dans sa maison alors qu’il y était. Maryse a dû partir en auto avec lui pour faire semblant d’aller le porter. Mon mari lui donnait des indications sans savoir où il allait. Elle a donc mis le GPS en lui disant que de cette façon ils allaient trouver le bon chemin vers la maison. Ils sont revenus à la maison et il a dit : «oui, c’est ici ma maison», se rappelle-t-elle.

De retour à la maison, ce fut un soulagement pour Mme Leclerc-Blais de savoir que son mari la reconnaissait après ce malheureux et angoissant moment d’égard.

«C’était rendu stressant et exigeant physiquement. La nuit il ne dormait pas, il faisait de l’errance», a-t-elle expliqué les yeux remplis d’eau se remémorant ces moments douloureux pour le cœur. Son médecin a donc déclenché l’alerte. Sa santé allait en écoper si elle n’allait pas chercher plus d’aide. Elle a donc dû se résigner à placer l’homme de sa vie dans un centre d’hébergement.

La lourdeur de cette décision, on la ressent sur le cœur de Mme Leclerc-Blais alors que ses yeux se mouillent instantanément lorsqu’elle raconte qu’elle aurait voulu garder son mari encore plus longtemps auprès d’elle dans la maison où ils ont vécu de belles années entrelacées.

«Ce matin-là, j’ai du lui faire bye bye de la fenêtre et à ce moment, je savais qu’il ne reviendrait plus ici. Je me résigne, mais j’ai de la misère à accepter qu’il soit là. Ce n’est pas facile», confie-t-elle.

Depuis le départ de son mari en centre d’hébergement, la maison est restée telle qu’elle était bien que maintenant trop grande pour Mme Leclerc-Blais. Dans l’entrée, les collants qu’il a posés sur les interrupteurs y sont toujours.

Chaque soir, Mme Leclerc-Blais se rend auprès de son mari. Elle tient à prendre sa collation avec lui. «Je veux être sûr qu’on lui donne ses biscuits parce que je sais qu’il a faim le soir», a partagé la dame si vulnérable devant la maladie de son mari, mais si forte pour lui. «C’est toujours la même personne, mais différente».

Malgré que les conversations se font plus rares entre eux puisque des mots, il n’en reste que très peu à son homme, l’amour est encore au rendez-vous. «Il y a des soirs, quand je lui donne mon bec avant de partir, il me présente le front. Un soir, je lui ai donné un bec et il a dit : "Hé maudit que c’est bon!" Ce sont des deuils à petit feu. J’en profite au maximum le temps qu’il me reconnaît et même s’il ne me reconnaît plus, je vais être là».

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